Exercice de style : Assommons les newbies !
Pendant quinze heures je m'étais confiné dans le Web2.0, et je m'étais entouré des blogs à la mode dans ce temps-là (du temps de la bulle internet); je veux parler des sites où il est traité
de l'art de rendre les internautes heureux, sages et riches, en vingt-quatre heures. J'avais donc digéré, - avalé, veux-je dire, toutes les élucubrations de tous ces entreprenautes de bonheur
virtuel, - de ceux qui conseillent à tous les newbies de se faire marketeurs, et de ceux qui leur persuadent qu'ils sont tous des capitalistes de la netéconomie. - On ne trouvera pas
surprenant que je fusse alors dans un état d'esprit avoisinant le vertige ou la stupidité.
Il m'avait semblé seulement que je sentais, confiné au fond de mon intellect, le germe obscur d'une idée supérieure à tous les trolls dont j'avais récemment parcouru usenet. Mais ce n'était
que l'idée d'une idée, quelque chose d'infiniment vague.
Et je me connecta avec une grande soif. Car le goût passionné des mauvaises lectures engendre un besoin proportionnel de Second Life et de virtualité.
Comme j'allais me teleporter sur gaia, un newbie me demanda des L$, avec une de ces orthographes inoubliables que jalouserai les téléphones portables, si les claviers pouvaient parler, et si
l'ecran d'un portable faisait bronzer les geek.
En même temps, j'entendis une voix qui chuchotait à mon oreille, une voix que je reconnus bien; c'était celle d'un Hippo, ou d'un bon Démon, qui m'accompagne partout. Puisque Socrate avait
son bon Démon, pourquoi n'aurais-je pas mon Hippo, et pourquoi n'aurais-je pas l'honneur, comme Socrate, d'obtenir mon brevet de folie, signé du subtil Torley et du bien avisé Pathfinder
?
Il existe cette différence entre le Démon de Socrate et mon Hippo, que celui de Socrate ne se manifestait à lui que pour défendre, avertir, empêcher, et que le mien daigne conseiller,
suggérer, persuader. Ce pauvre Socrate n'avait qu'un Démon prohibiteur; mon Hippo est un grand affirmateur, le mien est un Hippo d'action, un Hippo de combat.
Or, sa voix me chuchotait ceci: "Cet avatar seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir."
Immédiatement, je sautai sur mon newbie. D'un seul double-clic, je lui freezai son avatar, qui devint, en une seconde, immobile comme un prims. J'enfoncai une de mes touche à lui briser ses
SMS, et comme je ne me sentais pas assez fort, étant né vieux-dino et m'étant peu exercé au texto, pour assommer rapidement ce newbie, je le cagai comme un griefer, je le trollai en global
chat, et je me mis à le spammer vigoureusement de particules. Je dois avouer que j'avais préalablement inspecté la sim, et que j'avais vérifié que dans cette region déserte je me trouvais,
pour un assez long temps, hors de la portée de tout Linden.
Ayant ensuite, par une prose copiée sur internet assez complexe pour lui enfumer le neurone, terrassé ce newbie affaibli, je me saisis d'un freebie qui traînait dans mon inventaire, et je le
fit laguer avec l'énergie obstinée des griefer qui veulent faire planter une sim.
Tout à coup, - ô miracle! ô jouissance du philosophe qui vérifie l'excellence de sa théorie! - je vis ce newbie me répondre, orthographier avec une excellence que je n'aurais jamais
soupçonnée dans un avatar si singulièrement lobotomisé par la TV, et, avec un regard de haine qui me parut de bon augure, le petit djeunz des cités se jeta sur moi, me trolla comme un
artiste, m'insulta en pentamètre iambique, et avec le même freebie me fit planter la sim. - Par mon énergique médication, je lui avais donc rendu l'orgueil et la vie.
Alors, je lui fis force d'IM pour lui faire comprendre que je considérais la discussion comme finie, et me relevant avec la satisfaction d'un sophiste du Portique, je lui dis: "Avatar,
vous êtes mon égal! veuillez me faire l'honneur de partager avec moi mes L$; et souvenez-vous, si vous êtes réellement philanthrope, qu'il faut appliquer à tous vos confrères, quand ils vous
demanderont l'aumône, la théorie que j'ai eu la douleur d'essayer sur votre compte."
Il m'a bien juré qu'il avait compris ma théorie, et qu'il obéirait à mes conseils.